Saint François de Sales
Jeunesse et vocation
« Je suis de toute façon savoyard et de naissance et d’obligation » écrira un jour saint François de Sales, futur fondateur de l’Ordre de la Visitation Sainte-Marie. Quand il naît le 21 août 1567, le Duché de Savoie a retrouvé depuis peu son indépendance envers le roi de France. Mais c’est une terre déchirée : les protestants de Berne ont pris Genève en 1526, rejetant le duc, l’évêque et la foi catholique. Genève était désormais la cité de Calvin. En ces temps troublés, l’enfant, qui reçoit de ses parents le nom de François, avec pour saint patron François d’Assise, sera un artisan de paix et d’unité.
Comme ses 9 frères et sœurs cadets, François est éduqué dans une profonde piété chrétienne au château de Thorens par ses parents, François de Boisy, seigneur de Sales, et Françoise de Sionnaz. À l’âge de 10 ans, il reçoit la première Communion et le Sacrement de Confirmation, et déjà, la vocation au sacerdoce s’éveille en lui. Ignorant tout de ce secret attrait divin, son père rêve pour son aîné du Sénat de Savoie. C’est dans ce dessein qu’il envoie François à Paris, à l’âge de 11 ans, étudier au prestigieux Collège de Clermont dirigé par les Jésuites. Il y apprend les Belles-Lettres, en ajoutant au programme : la philosophie, la théologie et l’Écriture Sainte.
En 1586, François a 19 ans. C’est alors qu’il traverse une grave crise spirituelle : il se croit prédestiné à la damnation (la prédestination, thèse défendue par les protestants, faisait alors débat dans toutes les universités). Pendant deux mois, c’est la nuit et le désespoir. Épuisé de corps et d’esprit par cette épreuve insoutenable, il s’abandonne : « Quoiqu’il arrive je vous aimerai, Seigneur, au moins en cette vie ». Se jetant aux pieds de la Vierge noire de l’église Saint-Étienne-des-Grès, il prie le « Souvenez-vous ». François se relève transformé, il a retrouvé l’espérance. Cette Vierge à l’Enfant est toujours priée, sous le vocable de Notre-Dame de Bonne Délivrance.
En 1588 après 10 ans d’absence, il revient en Savoie, mais son père, toujours décidé à faire de lui un sénateur, l’envoie à Padoue pour étudier le droit civil et canon pendant 3 ans. Le brillant étudiant savoyard, déjà saint dans toute sa conduite intérieure et extérieure, profitera de ces années dans la célèbre université italienne pour étudier la théologie.
À son retour, il découvre à ses parents son désir de devenir prêtre : s’il est sans délai assuré de l’entier et affectueux soutien de sa mère, c’est toute l’ambition d’un père de haute société pour son fils aîné qui est remise en cause, non sans peine. Pour arracher le consentement paternel, des amis de François lui obtiennent de Rome la charge de Prévôt du Chapitre, la plus importante après celle de l’Évêque. Monsieur de Boisy cède enfin : « Mon fils, faites de par Dieu ce que vous dites qu’il vous inspire ». Il reçoit l’ordination sacerdotale le 18 décembre 1593.
Missionnaire
Monseigneur de Granier, l’évêque de Genève, toujours exilé à Annecy, désire faire refleurir la foi catholique dans le Chablais, région revenue sous la juridiction du duc de Savoie, catholique. Telle est la règle à l’époque : un pays doit suivre la religion de son roi. Cela avait pour conséquence que telle province en passant à une domination protestante devait renoncer au catholicisme et inversement. L’heure n’était pas encore au dialogue œcuménique…
Mandaté par son évêque, qui ne voyait pour cette très périlleuse mission que son fils spirituel, François commence, le 14 septembre 1594, la mission du Chablais. Pendant 4 ans, il va parcourir en tous sens cette terre désolée par la haine et les destructions, affrontant la méfiance, les dangers, les calomnies, les tentatives d’assassinat, la misère et les dures conditions climatiques. Il prêchera d’abord, mais peu de personnes se risquent à ses prédications. Son ardeur apostolique lui inspire alors un mode d’évangélisation qui a fait de lui « le premier journaliste catholique » : la rédaction et la distribution de porte en porte de tracts sur la foi catholique, qu’on pouvait lire dans le secret du logis, à l’abri des « qu’en dira-t-on ». Ces feuillets destinés à combattre l’hérésie protestante seront ensuite rassemblés dans le volume des « Controverses ».
Peu à peu, la population et les pasteurs même sont attirés vers ce « papiste » : il défend comme personne avant lui la foi catholique, mais en sauvegardant toujours la plus déférente courtoisie humaine et la plus ardente charité chrétienne. Son amabilité, toute débordante de la douceur et de l’humilité du Cœur de Jésus-Christ, lui gagne tous les cœurs qu’il s’empresse de donner à Dieu.
À l’automne 1598, l’évêque exilé peut venir sur cette terre de son diocèse : la quasi-totalité des Chablaisiens a réintégré le bercail de la sainte Église. Nul n’est surpris quand Mgr de Granier, qui avance en âge, décide de prendre comme coadjuteur ce jeune prêtre de 31 ans.
Pasteur
Mgr de Granier, souffrant, ne peut accomplir la visite « ad limina » sur la tombe des Apôtres Pierre et Paul à Rome. Il se fait remplacer par François de Sales qui franchit les Alpes en novembre 1598. Clément VIII retient longuement le missionnaire du Chablais. Le 22 Mars 1599, il passe l’examen canonique, en vue d’être sacré évêque, devant le Pape. Le Saint Père, on ne peut plus satisfait de ce candidat, qui répondit avec autant de science que d’humilité à un jury composé des plus éminents ecclésiastiques de son temps, l’embrasse, ému d’admiration et de joie, en citant le livre des Proverbes : « Mon fils, buvez l’eau de votre citerne, l’eau jaillissante de votre puits. Que vos fontaines coulent au dehors, et vos ruisseaux sur les places publiques ». Le jeune prélât fit sur toute l’assemblée une impression jamais égalée en pareille circonstance.
À Rome, François découvre l’Oratoire de saint Philippe Néri pour la formation des prêtres, et les Oblates de sainte Françoise Romaine, congrégation sans vœux ni clôture, pour des femmes consacrées à toutes œuvres de charité. Il restera très marqué par ces deux institutions d’esprit si large et si évangélique.
En 1601, Mgr de Granier envoie cette fois son coadjuteur à Paris pour une mission auprès du roi de France, Henri IV. Il y sera retenu pendant dix mois durant lesquels il prêchera beaucoup. On accourt en foule à ses prédications empruntes d’une douce force, d’une généreuse humilité, d’un ardent amour pour Dieu et le prochain. Jamais on n’avait eu l’idée de cette simplicité, de ce ton souriant, discrètement chaleureux. Beaucoup se rangent sous sa direction spirituelle.
Il fréquente assidûment l’illustre « cercle Acarie », qui réunit les plus grandes figures spirituelles, dans le salon de la célèbre mystique. Avec Madame Acarie et Pierre de Bérulle, qu’il y rencontre, François de Sales collabore à la fondation de l’Ordre du Carmel et de l’Oratoire en France.
C’est sur la route du retour que le saint apprend la mort de son évêque. Tant que vécût Mgr de Granier, François avait voulu rester simple prêtre, pour servir plus humblement son Pasteur : l’heure est venue de recevoir l’ordination épiscopale. Il choisit d’être sacré évêque dans la modeste église de Thorens, lieu de son baptême. Le 8 décembre 1602, pendant la cérémonie, son visage devint étincelant : en une sorte d’extase, il voit les trois Personnes de la Très Sainte Trinité qui le consacrent en présence de la Vierge Marie et des apôtres Pierre et Paul.
Evêque
L’activité pastorale de François à la tête du diocèse de Genève durera vingt ans. Son modèle, dans l’application du Concile de Trente, est le grand saint Charles Borromée (+ 1584). Monseigneur de Sales est un évêque résolument post-conciliaire : il comprend notamment que la Réforme catholique passe par la formation de tous. Pour les enfants, il organise partout des catéchismes et enseigne lui-même dans sa cathédrale remplie d’enfants (… et d’adultes !) ; pour ses prêtres, manquant de fonds pour créer un séminaire diocésain, il supplée par des semaines de conférences et par des entretiens particuliers avec les candidats au sacerdoce ; pour bien connaître et aider ses paroisses, il institue un synode annuel auquel prennent part tous les prêtres ; pour les moines, il travaille à ranimer et réformer les communautés attiédies et relâchées ; pour guider de plus près son peuple, il n’hésite pas à sortir souvent d’Annecy, à cheval, pour « battre le pays pendant des semaines malgré l’âpreté du temps et la grandeur des neiges », accomplissant ainsi la visite pastorale de tout son diocèse, ce qui lui prendra des années.
Former afin de réformer, mais surtout pour AIMER. Il en donne l’exemple, sa vie entière est donnée à Dieu et à son peuple à l’exemple du Christ :
– Pauvre : sa ville épiscopale étant Genève, il réside dans une maison de louage fort simple. Pauvre lui-même, il partage tout avec plus pauvre que lui. “Qu’importe que je m’incommode, pourvu que j’accommode quelque chose au prochain”.
– Disponible : François se fait tout à tous, mendiants, malades, prisonniers, nobles, et grands de ce monde, spécialement dans le sacrement de pénitence, toujours attentif aux conditions de chacun. « Les évêques sont de grands abreuvoirs publics ».
– Passionné par l’appel universel à la sainteté : il écrit d’innombrables lettres de direction spirituelle (environ 2000 sont encore conservées). Il rassemble son expérience ascétique et mystique en deux livres, écrits au milieu de toutes sortes de tracas « sans loisir, ni haleine » : l’Introduction à la vie dévote (1609), véritable traité de la parfaite vie chrétienne, destiné aux laïcs comme aux religieux, et le Traité de l’amour de Dieu (1616). À tous les baptisés, il redit : « Soyons ce que nous sommes et soyons-le bien ».
– Doux et humble : de toute sa personne rayonne une mansuétude qui gagne les cœurs. Son ami Vincent de Paul témoignera : « Que Dieu doit être bon puisque Monseigneur de Genève l’est déjà tellement ! »
Fondateur
Le 5 mars 1604, François de Sales rencontre pour la première fois la Baronne de Chantal alors qu’il prêche le Carême à Dijon. Pour l’un comme pour l’autre, une vision intérieure a précédé et les a déjà unis en une même destinée. Donné à Dieu depuis toujours, voici que Dieu le donne à Jeanne, au point qu’il fera, quelques années plus tard, le vœu de « recevoir et tenir son âme comme sienne, pour en répondre devant notre Sauveur. » Jeanne de son côté rappellera souvent : « Vous savez que je suis vous-même, par la grâce de Dieu. » Cette amitié exceptionnelle dans l’histoire de l’Église, d’une grande richesse humaine, a Dieu pour origine et elle va grandir en Lui et pour Lui. Saint Jean de la Croix dit que lorsqu’une affection vient de Dieu, plus elle grandit, plus celle de Dieu grandit aussi. Dès le 24 juin 1604, François remarque : « Je ne dis jamais la sainte Messe sans vous. Le Seigneur sait si j’ai jamais communié sans vous dès mon départ de votre ville… Tous les jours je donne votre cœur à Dieu avec celui de son Fils en la sainte messe. » Toute leur correspondance montre que c’est là, dans la prière, mais d’abord dans le Saint Sacrement, qu’ils se savent présents l’un à l’autre, réellement présents en cette présence réelle, quelle que soit la distance qui les sépare. Une telle communion d’âme, puisque vraiment ils n’en n’ont qu’une à eux deux, ne peut être que féconde : la fondation de l’Ordre de la Visitation Sainte-Marie en est le fruit.
Le 6 juin 1610, en la fête de la sainte Trinité, Jeanne de Chantal, Marie-Jacqueline Favre, Jeanne-Charlotte de Bréchard et Anne-Jacqueline Coste se retrouvent dans la petite « Maison de la Galerie ». Une aventure commence. Les ambitions sont simples et modestes, le but, sublime : permettre à toutes femmes appelées de Dieu, même de santé fragile, et quelque soit leur âge, de se donner à sa divine Majesté pour « vaquer à la perfection du divin Amour » dans une authentique vie religieuse. Saint François de Sales écrit lui-même son intention : « donner à Dieu des filles d’oraison et des âmes si intérieures qu’elles soient trouvées dignes de l’adorer en esprit et en vérité ».
Partout, en France et à l’étranger, on demande cette jeune communauté si fervente qui a pour fondateur le célèbre évêque de Genève, auteur de l’Introduction à la vie dévote, ce livre au succès prodigieux. Quelques jours avant sa mort, il dit à la Mère de Chantal : « Oh, que je l’aime notre petit Institut, parce que Dieu y est beaucoup aimé ».
Après la mort du Fondateur, la force de la sainteté et la maternelle sollicitude de Jeanne de Chantal rayonneront pendant 19 ans sur les monastères répandus partout en France et déjà dans quelques pays d’Europe.
La Visitation Sainte-Marie, cette œuvre d’amour de deux grands saints, sera visitée d’en-haut : le 2 juillet 1688, le Sauveur lui-même confirme la vocation spéciale de l’Institut au service de l’Amour en lui donnant son Cœur Sacré et en l’appelant à travailler à sa gloire. Sainte Marguerite-Marie écrira : « Notre-Seigneur m’a fait voir cette dévotion à son Cœur comme un bel arbre qu’il avait destiné de toute éternité pour prendre son germe et ses racines au milieu de notre Institut, pour étendre ses branches dans les maisons qui le composent, afin que chacune puisse en cueillir les fruits, fruits de vie et de salut qui nous doivent renouveler dans l’esprit primitif de notre vocation. Il me semble que jamais la gloire de notre Fondateur ne s’est tant augmentée comme elle fait par ce moyen. »
Le dernier voyage
La voie de saint François de Sales ne connut ni déclin, ni assombrissement : sa vie fut une ascension continuelle. C’est en pleine possession de son génie, au milieu du ministère apostolique le plus zélé, que vint le chercher le Maître.
Au cours des dernières années de sa vie, son prestige était tel qu’on l’appelait soit en France, soit en Italie, pour le règlement d’affaires importantes. L’une des missions qui lui imposa la plus grande somme d’efforts, fut le séjour de plusieurs mois qu’il fit à Paris en 1618-1619. La réputation de sainteté de l’Évêque de Genève l’avait précédé. Tout le monde voulait le voir, l’entendre, bénéficier de ses conseils, de sa direction. C’est là qu’il fit connaissance avec Vincent de Paul. François dira de celui-ci que c’était le plus digne prêtre qu’il eût jamais connu.
Sentant sa fin approcher, il accepta diverses missions apostoliques. C’est au cours de l’une d’elles qu’il devait clore son pèlerinage terrestre, en 1622. Il s’agissait d’une affaire importante : la conclusion d’une alliance entre la Savoie et la France, dans des conditions qui devaient favoriser le catholicisme dans les deux pays. À Lyon, il se dépensa sans compter en prédications, directions, règlements d’affaires pratiques concernant les Visitandines établies dans cette ville… C’est en ce Monastère qu’il retrouve Mère Jeanne-Françoise de Chantal, venue de loin pour le voir après une longue séparation physique (bien que ponctuée de lettres) : ce devait être leur dernière entrevue. Ils ne s’entretinrent que de l’Institut.
Il avait souhaité loger dans la chambre du confesseur, de la pauvre « maison du jardinier » de la Visitation de Lyon-Bellecour. Alors qu’il se préparait à rentrer dans son cher « Nessy », deux congestions cérébrales le terrassèrent. Lucide jusqu’au dernier instant, il se laisse tourner à toutes mains, supportant avec une patience héroïque les souffrances, notamment celles que lui infligèrent les extravagantes médications de l’époque, qu’il se laissa appliquer dans un abandon parfait, quoiqu’elles fussent un véritable martyre : « certes, par de tels remèdes la mort lui était bien infaillible » note un de ses premiers biographes. Paisiblement, comme il avait vécu, François rendit son âme à Dieu, sur ces dernières paroles : « Il se fait tard et déjà le jour baisse ! Jesu ! Maria ! » Il était 8 heures du soir, le 28 décembre 1622, en la fête des saints Innocents. François avait 55 ans. Un mois plus tard, Annecy accueillait le corps toujours en parfait état de son Évêque, et lui faisait des funérailles solennelles.
Il sera canonisé par Alexandre VII le 19 avril 1665, et en 1877, Pie IX le déclarera Docteur de l’Église (le 1er de langue française). L’Église universelle s’est dès lors affectionnée à invoquer saint François de Sales, incomparable modèle des vertus évangéliques, de douceur et d’humilité, guide parfait des âmes, tout ensemble surnaturel et profondément humain, apôtre de l’Amour de Dieu, de la confiance en la grâce divine, évêque exemplaire.
Saint François de Sales fut véritablement un ami du Christ. Un autre saint, Vincent de Paul, témoignait à son procès de canonisation : « En me rappelant Monsieur de Genève j’en éprouve une impression si extraordinaire, que je suis porté à voir en lui l’homme qui a le mieux reproduit sur terre l’image de Jésus-Christ ! »
Rayonnement
Les Filles de la Visitation ne sont pas les seules héritières de l’esprit du saint évêque de Genève. Sur cet arbre salésien, de nouvelles branches sont apparues toujours plus nombreuses au cours des siècles.
« Je rends grâce pour le notable accroissement à travers le monde des branches de ce grand arbre
qui a produit tant de fleurs de sainteté et tant de fruits d’œuvres évangéliques »
Saint Jean-Paul II, à Annecy, 1986