Sainte Jeanne de Chantal

Jeanne Frémyot

Le 23 janvier 1572 naît à Dijon Jeanne Frémyot, deuxième enfant de Bénigne Frémyot, Conseiller à la Chambre des comptes puis président du Parlement de Dijon, et de Marguerite de Berbisey, dame d’une maison des plus nobles et des plus anciennes de la Bourgogne qu’un mariage unit en 1378 à la famille de saint Bernard. Jeanne n’a que dix-huit mois lorsque sa mère est rappelée à Dieu, lors de la naissance de son petit frère André, futur archevêque de Bourges. C’est alors qu’elle prend pour mère la Très Sainte Vierge, divine Mère des orphelins. Profondément catholique, son père veille attentivement sur ses trois enfants, et leur fait donner une éducation soignée.

La petite Jeanne, qui à sa confirmation fera ajouter à son prénom celui de Françoise, montre un esprit vif et enjoué, une volonté ferme et une foi profonde. Dès sa plus tendre enfance, qui se déroule en pleine réforme protestante, elle manifeste un attachement absolu à l’Église catholique et sa doctrine. En 1587, craignant la guerre civile, Monsieur Frémyot, dont l’inébranlable loyauté au Roi de France a déjà mis en danger la vie d’André, accepte de laisser partir Jeanne en Poitou près de sa sœur aînée, Marguerite, devenue par son mariage baronne des Francs, et qui désirait fort avoir sa petite sœur auprès d’elle. Cinq ans plus tard, Monsieur son père la rappelle auprès de lui, car il nourrit le projet de la marier.

La Dame Parfaite

Tous, nobles et pauvres, la surnomment la « Dame parfaite » : elle l’est en effet de corps, d’esprit et surtout d’âme. On la décrit grande, d’un port généreux et majestueux mais sans artifice, et d’une beauté naturelle qui attirait tous les regards ; pour l’esprit, d’une humeur vive et gaie, d’un esprit clair, et d’un jugement solide ; pour l’âme, on rencontrait chez elle toutes les vertus, mais c’est sa modestie, piété et charité qui éclataient davantage au dehors. Elle allait se révéler encore une parfaite épouse chrétienne.

Jeanne-Françoise épouse Christophe de Rabutin, baron de Chantal, le 28 décembre 1592 : elle a 20 ans, lui 27. Elle quitte alors Dijon pour rejoindre le château de Bourbilly, où Christophe réside ordinairement. D’abord réticente à porter la lourde charge de maîtresse de maison, la vie de sa défunte belle-mère, dont son mari lui fit le récit, l’édifia au plus haut point. Elle prit cette femme d’incomparable vertu pour modèle, et dès lors, fit l’admiration de tous par le sens pratique dont elle fit preuve pour mettre en ordre les affaires du domaine endetté qui lui étaient confiées, mais surtout par la ferveur de sa foi : la première chose qu’elle ordonna fut de rétablir la Messe quotidienne au château. Et de la charité envers Dieu découlait immédiatement la charité envers le prochain : la jeune châtelaine est fort attentive à édifier, à évangéliser au besoin, ceux qui fréquentent le château de Bourbilly. Elle aimait les pauvres, ils le savaient, et venaient à l’entrée du château où ils étaient chaque jour servis par la Baronne elle-même. Lors d’une famine, soins et provisions de pain furent prodigués en abondance aux malheureux. En cette occasion ont eu lieu de mystérieuses multiplications de blé puis de farine, comme en témoigneront plusieurs domestiques au procès de béatification de la sainte.

Christophe et Jeanne, profondément unis, eurent six enfants dont deux moururent en bas âge. Ce bonheur sera de courte durée : passionnément éprise de son mari, Jeanne est brisée par la douleur lorsqu’il meurt en 1601 à la suite d’un accident de chasse. Mais cette âme forte, après avoir pardonné au meurtrier accidentel de son époux, acceptera encore de devenir la marraine de son fils.

Après un deuil exemplaire, dans une grande douleur, Dieu mit dans le cœur de cette jeune veuve de 28 ans de grandes lumières sur le néant de cette vie, et de grands désirs d’être toute consacrée à Lui : dès lors, elle fit vœu de chasteté perpétuelle au pied d’un autel dédié à la Vierge Marie. Déjà du vivant de son époux, lors de ses absences durant lesquelles elle s’adonnait particulièrement à la dévotion et à la prière, elle sentait un grand attrait de servir Dieu. Mais à présent, au milieu de terribles tentations, Notre-Seigneur augmenta tant ce désir de le servir que si ses enfants ne la retenaient pas, elle aurait voulu tout quitter et fuir en Terre Sainte pour y finir ses jours dans la prière et la pénitence. Elle raconte : « Je sentais des affections inexplicables de connaître la volonté de Dieu et de la suivre, quoiqu’il en dût arriver, et il me semble que ce désir était si grand qu’il me consumait et me dévorait au-dedans. Mon cœur requérait à tous moments la volonté de Dieu de se manifester à moi. » Il fallait à son âme un directeur : ce saint désir fut désormais l’objet de toutes ses prières.

Un jour, dans la chapelle de Bourbilly, elle a la vision d’une troupe innombrable de filles et de veuves qui venaient à elle et l’environnaient, et elle entend ces paroles : « Mon vrai serviteur et vous, aurez cette génération ; ce me sera une troupe élue, mais je veux qu’elle soit sainte. » D’autres visions et lumières lui indiqueront, toujours plus précisément, qui est ce vrai serviteur de Dieu, destiné de toute éternité à la conduite de son âme.

La Bonne Dame

En 1602, son beau-père, le baron Guy de Chantal, irascible et autoritaire, lui ordonne de demeurer avec lui à Monthelon, la menaçant, si elle refuse, de déshériter ses enfants. Pour eux, elle accepte avec humilité et patience ce purgatoire qui durera sept ans. Monsieur de Chantal a confié la maison à une servante dont il a eu plusieurs enfants. Cette dernière indispose le vieillard contre Jeanne, qui ne peut rien faire sans permission, ce à quoi elle se plie avec une héroïque humilité. Mais qu’il lui est dur de voir dissiper les biens de ses propres enfants !

Jeanne mène alors une vie spirituelle intense où elle connaît une profonde intimité avec Dieu mais dans une obscurité traversée de doutes ; épreuve de la nuit de la foi qui durera jusqu’à ses derniers jours. On retrouvera sur elle, à sa mort, un papier sur lequel elle avait écrit le Credo, et signé de son sang, protestant ainsi sa foi nonobstant tout sentiment contraire.

Ses tentations n’étaient nullement apaisées par un directeur spirituel que, dans sa détresse, elle avait accepté de prendre – bien consciente néanmoins qu’il n’était pas l’homme que Dieu lui avait montré – et qui contraignait son esprit, son âme et son corps de mille pratiques, prières vocales, mortifications et vœux. Dépassant ses peines intérieures, chaque jour, après avoir rendu à son beau-père les respects et devoirs filiaux, elle se retirait le plus qu’elle pouvait des compagnies et vaquait aux affaires de ses enfants, à les instruire elle-même, et à travailler pour l’église ou pour les pauvres, ayant fait vœu que tout son travail serait employé à ces deux usages. Jamais on ne la trouvait désoccupée, toujours un ouvrage à la main. Sa femme de chambre la priant une fois de relâcher cette grande assiduité, elle répondit : « Si je perdais du temps inutilement, je croirais faire un larcin à l’église et aux pauvres à qui je l’ai destiné. »

Elle soignait quotidiennement les malades qu’on amenait au château à sa demande, et se rendait chez les agonisants des villages alentours pour les assister jusqu’à la mort et leur donner une digne sépulture. Un jour, un paysan ayant rencontré un pauvre lépreux, il l’amène à la « Bonne Dame » : elle l’accueillera chez elle et le soignera de ses mains jusqu’à ce que ce pauvre Lazare entre dans le sein de Dieu. Mais parmi tant d’autres, un trait révèle par-dessus les autres son héroïque charité : une jeune dame, pour plaire à son mari, voulut se couper une verrue au bout du nez. Elle le fit si mal qu’un cancer en naît, et lui ronge le visage. Ses joues décharnées laissent apparaître ses dents, sa gorge est rongée à son tour, et elle ne peut plus parler ni se nourrir que par un trou à la base de la gorge. Abandonnée de tous, Jeanne la soignera trois ans durant chez elle, coupant la chair pourrie, et la nourrissant au biberon par ce trou, jusqu’à sa mort, après lui avoir fait recevoir les derniers sacrements. Panser les plaies de Jésus-Christ crucifié dans les malades, c’était là toute sa consolation.

La Rencontre

Pour le Carême 1604, le Président Frémyot, qui ignore tout des souffrances de sa fille, l’invite à venir à Dijon afin de pouvoir suivre la prédication de l’évêque de Genève, Monseigneur François de Sales. Le 5 mars, dès qu’elle le voit en haut de la chaire de la Sainte Chapelle de Dijon, Jeanne le reconnaît : c’est lui, le guide qui lui a été promis dans une vision. François de Sales aussi la reconnaît : alors qu’il préparait ses prédications de Carême, il avait eu également la vision d’un Ordre de religieuses qu’il fonderait, et de celle qui en serait la première pierre fondamentale. Descendu de chaire, il demande à Monseigneur André Frémyot : « Dites-moi, je vous supplie, quelle est cette jeune dame, claire-brune, vêtue en veuve, qui écoute la parole de vérité si attentivement ? – Mais c’est ma sœur, Jeanne-Françoise. – Oh bien ! repris Mgr de Sales, je suis extrêmement aise qu’elle soit votre sœur. » C’est alors la naissance d’une des plus extraordinaires amitiés spirituelles de l’Histoire de l’Église. Dès le voyage de retour, saint François de Sales envoie à sainte Jeanne de Chantal un court billet : « Dieu, ce me semble, m’a donné à vous. Je m’en assure toutes les heures plus fort. » Ces deux âmes n’en feront vraiment plus qu’une, quand le 22 août 1611, il scella cette union en Dieu et pour Dieu pendant le sacrifice de la sainte Messe, se portant garant du salut de l’âme de Jeanne comme de la sienne propre.

Jeanne et François se rencontreront régulièrement, et surtout s’écriront, durant les six années où s’ébauche peu à peu le projet de fondation de la Visitation, qu’il ne lui révèlera que progressivement. Il prend bientôt sa direction spirituelle, après un prudent discernement, et la libère enfin des chaînes de son tyrannique directeur, pour lui faire goûter la liberté des enfants de Dieu.

Pour lors, en ce Carême 1604, la famille de Jeanne réunie à Dijon, ignorant le vœu de chasteté qu’elle a fait, la presse d’accepter de se remarier pour l’avenir de ses enfants. C’est alors que, pour fortifier sa résolution, Jeanne grave sur sa poitrine, au poinçon, le saint Nom de Jésus.

Et les enfants de Mme de Chantal ? Celse Bénigne, l’aîné, se prépare près de son grand père à partir à la Cour de France, Marie-Aimée est mariée depuis le 13 octobre 1609 à Bernard de Sales, jeune frère de François, Françoise et Charlotte suivront leur Mère à Annecy et seront les premières pensionnaires de la Visitation. Mais la petite Charlotte meurt en Janvier 1610. La baronne de Chantal fait des adieux déchirants à son fils et à son père, puis quitte Dijon le 29 mars 1610, pleurée par tous les pauvres du voisinage. Peu après son arrivée à Annecy, devant notaire, elle se dépouille de tous ses biens en faveur de ses enfants.

La Mère de Chantal

PIERRE FONDAMENTALE – Le dimanche 6 juin 1610, s’inaugure une nouvelle forme de vie religieuse. En cette fête de la Sainte Trinité, François de Sales remet à la Mère de Chantal un abrégé des Constitutions : « Suivez ce chemin, ma très chère fille, et faites-le suivre à toutes celles que le ciel a destinées pour suivre vos traces. » Avec elle, Marie-Jacqueline Favre, Jeanne-Charlotte de Bréchard et une Sœur tourière, Anne-Jacqueline Coste, commencent une aventure spirituelle. Il s’agit de fonder un Institut sans austérité extérieure, mais de la plus haute exigence intérieure, afin que toute âme appelée de Dieu, quel que soit son âge ou sa santé, puisse se retirer du monde pour vaquer à la perfection du divin amour. Le Pape Clément XIII, dans sa bulle pour la canonisation de sainte Jeanne de Chantal, écrit : « L’esprit de cet Institut n’a rien de difficile ni d’austère à l’extérieur, mais il retranche tout, sans exception, à la volonté et aux inclinations naturelles. Il ordonne, avec autant de douceur que de force, l’entier renoncement à soi-même, et parce cet admirable moyen, avec le secours de Dieu, il conduit à la plus haute perfection. »

La maison de la Galerie, dans les faubourgs de la cité, est le lieu de naissance de cette nouvelle Congrégation. Le nom choisi par le Fondateur est la Visitation de Notre-Dame, mais le voisinage prend l’habitude d’appeler le monastère : Sainte-Marie ; cela formera le nom de Visitation Sainte-Marie. Saint François de Sales trouvait dans la contemplation de ce mystère « mille particularités qui lui donnaient une lumière spéciale de l’esprit de l’Institut » : contemplation et humilité, louange de Dieu et service du prochain, disponibilité à l’Esprit Saint et ardeur missionnaire, simplicité et joie dans le Seigneur. Le Fondateur imprime déjà chez ses premières filles sa dévotion au Cœur de Jésus.

Saint François de Sales lui-même initiait les Sœurs à leur nouvelle vie, les notes de ces conversations formeront le livre des Entretiens. Au terme d’un fervent noviciat, le 6 juin 1611, les deux premières Sœurs, avec Mère Jeanne-Françoise de Chantal, prononcent leur oblation, et le Fondateur remet à chacune la Croix d’argent à l’image de sa croix épiscopale, car ses filles sont « Filles du Clergé ».

Les visites aux malades sont inaugurées le 1er janvier 1612. Elles sont assez limitées : les Sœurs « s’y emploieront à tour de rôle deux ensemble, et pas plus de deux heures par jour ». À Sœur Marie-Jacqueline Favre qui admire son dévouement Jeanne répond : « J’ai toujours cru qu’en la personne de ces pauvres j’essuie les plaies de Jésus-Christ ». Cet exercice n’était pas le but de l’Institut, mais était propre au lieu, et au commencement de la Congrégation.

PREMIÈRES FONDATIONS – La Maison de la Galerie devenant trop petite, la communauté s’est installée dans une maison à l’intérieur de la ville en 1612. Bientôt, Mère Jeanne de Chantal porte les tracas de la construction du monastère selon le plan type qu’elle a conçu.

La fondation d’une Visitation à Lyon en 1615 amena à maturation le projet des Fondateurs : la transformation de la congrégation en Ordre purement contemplatif. Les Sœurs, presque toutes engagées dans les voies mystiques, y reconnurent unanimement la volonté de Dieu. La clôture et les vœux solennels, plus ajustés à l’administration et aux lois de France, vont favoriser encore l’expansion de la Visitation. La Mère de Chantal y prendra une part de plus en plus importante, ainsi elle reste trois ans à Paris pour les laborieux débuts de cette Visitation placée par saint François de Sales sous la direction de « Monsieur Vincent », saint Vincent de Paul. Au total, 13 monastères sont fondés en 7 ans.

DOUBLEMENT MÈRE – L’infatigable sollicitude de Jeanne pour sa communauté qui s’accroît rapidement ne lui fait pas oublier sa tendresse pour ses enfants. Le décès de son père en 1611 puis celui de son beau-père en 1613 l’obligèrent à repartir en Bourgogne afin de mettre ordre aux affaires familiales ; elle revit à Monthelon la servante-maîtresse et se montra d’une grande générosité envers elle et ses enfants. En mai 1617, la mort vient briser le foyer de Marie-Aimée : Bernard a succombé à Turin d’une épidémie. Aussitôt la jeune veuve, qui attend son premier enfant, fait vœu de chasteté. Elle se réfugie au monastère près de sa mère. En septembre, Marie-Aimée subit le contrecoup de son chagrin, elle accouche prématurément. Jeanne reçoit le nouveau-né dans ses bras pour le voir mourir aussitôt après l’avoir baptisé. Puis elle prodigue ses soins à sa fille mourante. Celle-ci en pleine lucidité, après avoir reçu l’Extrême-Onction, demanda la faveur de recevoir le voile des Visitandines puis elle prononça ses vœux religieux, et, le visage rayonnant, s’endormit dans la mort. Jeanne en tomba gravement malade, mais François obtint sa guérison subite par l’intercession de saint Charles Borromée à qui il vouait une grande vénération.

LA MYSTIQUE – Au cours de l’année 1612, dans une extase, Dieu montra à la Mère de Chantal le plaisir qu’il prend dans les âmes pures, et lui inspira le désir de se consacrer par vœu à faire toujours ce qui lui paraîtrait le plus parfait.

Quelques années plus tard, François de Sales comprend, dans les conduites de l’Esprit Saint, que le moment est venu pour Jeanne de faire un dernier pas vers le dépouillement total, le « pur amour ». La promesse qu’il lui a faite il y a 9 ans doit trouver son accomplissement : « Un jour, vous quitterez toutes choses, vous viendrez à moi, et je vous mettrai dans un total dépouillement et nudité de tout pour Dieu ». À la Pentecôte 1616, il l’invite à se laisser guider par Dieu seul, sans plus s’appuyer sur le réconfort de leur amitié. « Notre Seigneur vous aime, ma Mère, il vous veut toute sienne. N’ayez plus d’autres bras pour vous porter que les siens, n’arrêtez votre esprit qu’en lui seul, tenez votre volonté unie à la sienne en tout ce qui lui plaira faire de vous, par vous et pour vous ». Et elle, de répondre : « Que béni soit Celui qui m’a dépouillée ! Qu’il est aisé de quitter ce qui est autour de nous, mais quitter sa peau, sa chair, ses os, et pénétrer dans l’intime de la moelle, qui est, ce me semble, ce que nous avons fait, c’est chose grande, difficile et impossible, sinon à la grâce de Dieu. »

Dans l’une de ses lettres, François compare l’état de délaissement intérieur de Jeanne à celui d’un musicien devenu sourd et qui continue de jouer pour son prince : « O que bienheureux est le cœur qui aime Dieu sans aucun autre plaisir que celui qu’il prend de plaire à Dieu ». Cet état de « pur amour » atteint par Jeanne est celui où François invite tous ses Théotime, les lecteurs de son Traité de l’Amour de Dieu qui parait en librairie en cette année 1616.

Martyre d’amour

MORT DE SAINT FRANCOIS DE SALES – Fin octobre 1622, la Mère de Chantal est à Lyon où elle a la joie de revoir le Fondateur. Ce sera leur dernière entrevue, elle va durer 4 heures, François, qui sent ses forces décliner, a souhaité ne traiter que de la Visitation, cette Œuvre qu’il lui confie désormais. Le 28 décembre suivant, il meurt à la Visitation de Lyon.

HERITIERE ET INTERPRÈTE – Bien que son chagrin soit immense, Jeanne redit un total Fiat à la Volonté de Dieu. Aussitôt, elle entreprend de réunir les écrits, lettres et sermons de son « Bienheureux Père » en vue de leur publication et de l’ouverture d’un dossier en vue de sa canonisation.

Seule pour guider la Visitation qui n’a que 12 ans d’existence, elle refuse le titre de Mère générale, mais son influence spirituelle est incontestée. C’est elle qui permettra l’achèvement de l’œuvre entreprise, grâce à la justesse de son discernement, la sagesse de ses conseils, sa fidélité parfaite à l’esprit du Fondateur. Si celui-ci avait fait éditer les Constitutions de la Visitation, il avait laissé de nombreuses notes pour assurer partout l’uniformité de l’observance. À partir de ces documents, et avec toutes les Supérieures de l’Ordre qu’elle a réunies autour d’elle en 1624, Mère Jeanne-Françoise de Chantal va rédiger le Coutumier et le Directoire spirituel, suppléments de la Règle pour ordonner la vie intérieure et extérieure des Sœurs.

Interprète de la tradition salésienne, elle sut y puiser les solutions adaptées aux questions nouvelles que suscitait le rapide développement de la Visitation, tout cela, noté avec soin, sera regroupé dans le livre des « Réponses de notre Sainte Mère », qui sert encore de guide aux Filles de la Visitation du XXIème siècle.

Sa volumineuse correspondance nous la révèle Maîtresse spirituelle, dirigeant les âmes selon les principes salésiens mais aussi avec sa vigueur et sa tendresse maternelle. Sans cesse elle exhorte et console, entremêlant les avis spirituels et les conseils pratiques. Son influence déborde la Visitation : elle conseille des laïcs, hommes et femmes, même des ecclésiastiques ; des rois se recommandent à ses prières. Par ordre des évêques, elle visite d’autres maisons qui n’étaient pas de son Ordre, et y remet la règle en vigueur. Saint Vincent de Paul lui-même lui donna les règles de son Institut à examiner et à corriger.

Et les fondations continuent : si la Mère de Chantal n’est pas présente à chaque commencement, elle le porte dans son cœur. Sans relâche, elle visite de nouvelles maisons, parcourant des centaines de kilomètres à cheval puis en litière à travers la France, la Lorraine, la Savoie et le Piémont.

DEUILS – Peu à peu se creuse autour d’elle une grande solitude : son fils meurt au combat en 1627, suivi de sa jeune épouse en 1633 qui laisse une petite orpheline, la future Mme de Sévigné ; bientôt c’est son gendre qui laisse Françoise seule avec ses deux enfants. Au cours de l’année 1637, meurent trois des premières Sœurs entrées en 1610.

MARTYRE D’AMOUR – En 1632, lors d’un entretien avec ses Filles, Jeanne prononça ces paroles de feu qui la révèlent si bien : « Il y a un martyre qui s’appelle le martyre d’amour (…) donnez votre consentement absolu à Dieu et vous le sentirez. C’est que le divin Amour fait passer son glaive dans les plus intimes parties de nos âmes, et nous sépare nous-mêmes de nous-mêmes. Je sais une âme, laquelle l’Amour a séparée des choses qui lui ont été plus sensibles que si les tyrans eussent séparé son corps de son âme par le tranchant de l’épée ». C’est le mot Amour qui revient constamment sur ses lèvres : « Il faut tout quitter, et demeurer à la merci de l’Amour divin, afin qu’il fasse de nous ce qu’il lui plaira ».

Sainte

Un dernier voyage pour le bien de l’Ordre la conduit à Moulins. C’est là qu’elle s’éteint le 13 décembre 1641, entourée de ses Filles, à qui elle recommande la fidélité et l’union des cœurs. La Visitation compte alors 87 monastères.

Elle est décédée, selon son souhait, en la condition de simple inférieure, sans charge, et tenant le dernier rang. Jeanne de Chantal achève sa vie comme elle l’a vécue : dans la seule pensée de Celui dont elle prononce le nom par trois fois avant de rendre le dernier soupir : « Jésus ! Jésus ! Jésus ! » C’est d’un cœur brûlé de l’Amour de Jésus que Jeanne de Chantal a aimé son père, son mari, ses enfants, ses amis, son « unique Père » François de Sales, ses Filles de la Visitation, les pauvres et jusqu’à ses ennemis.

L’Église, qui l’a déclarée sainte le 16 juillet 1767, prie ainsi au jour de sa fête : « Seigneur tu as donné à sainte Jeanne-Françoise de Chantal d’atteindre une haute sainteté à travers différents états de vie… » Elle est la patronne de toutes les vocations.

« Le coeur de cette dame est un autel où le feu de l'amour ne s'éteint point ;
et il se rendra si véhément qu'il ne consumera pas seulement les sacrifices, mais l'autel même. »
Cardinal de Bérulle

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